Voilà une journée qui avait drôlement bien commencé. Un temps splendide au réveil, ciel pur et rivière de nuages dans la vallée.
Petit déjeuner avalé sur le pouce, appareil photo en bandoulière, nous partons faire une petite balade dans cet air printanier. Il est un peu tard pour la photo de la mer de nuages, le soleil qui réchauffe l'atmosphère dissipe les nuées laissant quelques lambeaux accrochés aux chênes du Causse.
L'air est plein du chant des oiseaux et au hasard, d'un détour, nous faisons fuir un chevreuil qui franchit la haie d'un bond gracieux et disparaît de l'autre côté de la prairie.
Le temps s'annonce magnifique pour ce soir, la sieste sera impérative au retour.
En effet, le ciel est dégagé après le repas du soir, mais le vent annoncé est bien présent. Mais qu'à cela ne tienne, le T1000 affronte la rafale sans broncher et la « brise » a tôt fait d'éliminer la couche turbulente à la surface du miroir.
La preuve en est, notre première cible est
M42 et dès le 17mm, E et F sont visibles, et même par moments deux têtes d'épingles parfaitement détachées. Je vais profiter d'un oubli de Fred à la maison pour mettre à profit les enseignements des astrodessinateurs dans l'observation du trapèze. D'abord, je tente de repérer les étoiles les plus faibles qui entourent le brillant quadrilatère, et par glimpses, je vois I, plus blanche que les autres étoiles faibles qui m'apparaissent toujours un peu brunâtres, sans doute absorbées par le nuage de gaz et de poussière qui entoure cette pouponnière d'étoiles. Puis à deux reprises, à l'intérieur du quadrilatère, il me semble distinguer un infime point qui pourrait être G.
Mais place à la nébulosité, le trapèze se détache dans un nid plus sombre et bleuté. La zone arc en ciel n'est pas rectiligne mais se gonfle de 3 boursouflures colorées. Dans sa partie sud, une zone moins dense dessine un boomerang plus sombre. Au niveau de la première étoile de « l'épée », le cœur de la nébuleuse semble s'écouler pour nimber l'étoile.
En revenant vers la « bouche » on voit deux étoiles faibles dans un « trou » et la zone de poussière est coupée en deux par un filament cotonneux.
Même s'il est plus difficile de mémoriser tous ces détails sans papier crayon, la lecture de l'ouvrage sur l'astrodessin m'aura permis de percevoir bien plus de détails que je n'en avais jamais mémorisé auparavant dans le trapèze.Mais sans possibilité de noter, c'est comme l'apprentissage d'une poésie : d'abord on mémorise une ligne, puis la deuxième, et il faut revenir à la première pour enchaîner les deux... Bon, j'ai passé le temps de la récitation, et ma description précise est moins riche que la vision à l'oculaire... Fred est revenu, il monte le 13mm et passe quelques instants à l'oculaire. J'espérais détecter plus facilement les composantes I et G mais non. Il faut dire que le vent soutenu agite le télescope et nous obligera plus tard à retirer le baflage face au PO.
Mais pour l'heure, les images nous comblent. Dans mon programme d'observation :
Sirius B. Voilà un moment qu'on en parle sur les forums et je dois avouer que l'observation me titille. Sirius est un phare à l’œil nu, mais que dire à l'oculaire du T1000 ! Eblouissante, un vrai diamant malgré sa faible hauteur, elle dégage une sensation de chaleur sur l’œil, tant elle est lumineuse !
Et ses aigrettes irisées traversent véritablement tout le champ. Elle tremble un peu au gré des rafales mais le télescope garde le cap et son image s'amenuise, le halo de diffusion est réellement léger et là, beaucoup plus faible mais immanquable, Sirius B montre sa tête d'épingle sous l'aigrette. C'est à la fois facile et déroutant... Facile car nul besoin de la vision décalée, mais déroutant car très différent de ce que j'attendais, un point si minuscule à côté de sa grande sœur éblouissante, une telle différence de magnitude, je pensais que ce serait beaucoup plus ardu à repérer.
Petit passage sur
Jupiter. A l'oculaire, la turbulence est visible mais sa haute fréquence est bien tolérée par l’œil, les festoons sont contrastés, une grande plume bleu pétrole barre la zone équatoriale et s’effiloche en filaments fins comme un cheveu, la NEB est pleine de nodosités en camaïeu d'ocre pâle au brun soutenu. Par curiosité, j'accepte que Fred me montre comment on fait des acquisitions planétaires. Il remplace l'oculaire par la caméra. Je vais chercher mes lunettes (pour l'observation directe, je n'en ai pas besoin, mais sur écran, la presbytie me joue de vilains tours). Le vent a encore forci et Jupiter qui tient déjà au chausse-pied sur le capteur de la Basler a une fâcheuse tendance à s'esquiver. Sur l'écran, elle danse une gigue infernale et même si on reconnaît les détails vus à l'oculaire, il n'y a rien à tirer de l'image et j'en suis fort aise. Je crois que l'imagerie n'est pas ma tasse de thé, même si on reste assis, les vrais photons me manquent !
Tout débrancher, se réaccoutumer à la nuit avec la voie lactée d'hiver à l’œil nu... Elle est assez brillante sans rivaliser avec le centre galactique visible en été. De Cassiopée au Grand Chien en passant par Persée le double amas, Melotte 20 et le Taureau, elle poudroie doucement, avec un bras formant un arc brillant autour d'Orion.
Thor's Helmet, NGC 2359 est dans l'oculaire avec le filtre OIII. Au premier abord, on découvre un x en « cursive » incomplet avec une boucle au centre, ou un escargot à la tête dressée laissant de drôles de traînées derrière lui. Pour cette observation, je voulais voir la dernière branche du X. Autant les 2 « ailes » du casque sont contrastées et assez bien délimitées, autant la « jugulaire » est moins facile à appréhender, un côté large et brillant mais aux bords indéterminés et l'autre, plus ténu, plus court et vaguement recourbé.
La partie centrale dévoile des détails brillants autour de la Wolf Rayet qui l'illumine, deux filaments aussi vifs que des néons concentriques reliés par une matière inhomogène. Sur le filament externe, un alignement d'étoiles renforce la sensation de relief courbe de la nébulosité. L'aile droite se subdivise en deux dont une partie semble aller se perdre assez loin, figurant la tête et les cornes de mon limaçon nébulaire.
Pour l'objet suivant
NGC 1514, nous gardons la même configuration. Cette nébuleuse planétaire dévoile alors une structure complexe faite d'arcs non concentriques autour de la centrale . Sur les photos elle montre des nodosités rondes assez marquées que je n'ai pas perçues mais qui sont plus proches de la perception de Fred. Sans filtre, la structure disparaît, mais le halo qui entoure cette étoile mourante est d'un beau bleu turquoise. Sa particularité, non visible, est qu'elle pourrait être une étoile double.
Au programme aussi, j'avais mis la SN de
M82, espérant qu'elle serait encore visible un mois après son apparition le 23 janvier dernier. Dès le premier coup d’œil, je peux être rassurée, on ne voit qu'elle ! Elle est tellement brillante qu'on pourrait croire à une étoile de notre galaxie en avant plan. L'observation en elle-même n'a rien d'extraordinaire, mais savoir qu'on observe une étoile dans une galaxie distante de 12 millions d'années lumière et que sa lumière est aussi vive est quelque chose d'exaltant ! Contrairement à bien des SN qu'il est difficile de rattacher à leur galaxie car éloignées de la partie accessible en visuel,
SN2014J est vraiment « posée » sur le fuseau de M82. Par contraste, les nodosités brillantes de M82 qui abritent des milliers d'étoiles paraissent presque fades ! Pourtant, je m'y attarde un peu, le fuseau est long et la vision décalée l'étire encore jusqu'à l'aplomb de USNOA2 1575-03028026. Il n'est pas rectiligne, mais on dirait qu'il est légèrement voilé. Du côté de la SN, 3 nodosités rondes pas tout à fait alignées se touchent avant la barre sombre centrale, qui coupe le fuseau en deux puis une grosse zone brillante informe fait place à l'autre assombrissement moins marqué.
NGC 2537 est une cible peu courante en visuel, je ne l'avais vue qu'en photo. Surnommée la patte d'ours, c'est une galaxie très particulière, globalement ronde, elle présente deux bandes sombres parallèles qui lui donne un aspect de trace animale, d'où son surnom. Elle n'est pas totalement symétrique, l'un des côtés présente des renforcements plus lumineux encore que la partie centrale. Je me suis demandée ce qui a pu donner une telle forme à cette galaxie, collision, interaction avec un compagnon imbriqué ? La littérature est quasi inexistante sur le sujet.
Dans les cibles exotiques, quelques Hickson tirent aussi leur épingle du jeu. Dans l'Hydre femelle,
Hickson 40 est toujours aussi esthétique, composés de galaxies compactes et reconnaissables, leur agencement en font un mini septet de Copeland.
Plus haut, on tentera HCG 36 et 37, si
HCG 36 ne m'a pas laissé un souvenir précis (et aucune image pour le raviver, c'est dire sa notoriété),
HCG 37 est quant à lui, plus facile à appréhender. 3 galaxies occupent le centre du champ, une allongée, une ovale et un grain de riz entre les 2. Il semblerait que deux autres les accompagnent, mais je ne les ai pas vues. A retenter une autre fois par une nuit sans vent.
Autre objet mythique que je n'avais jamais eu l'occasion d'observer, le
quasar double de la Grande Ourse. En passant par cette belle galaxie qu'est
NGC 3079 – soit dit en passant, elle a un faux air de M108 plutôt sympathique – le repérage du quasar est facile. C'est bien heureux, car ce n'est pas son aspect qui révèle sa nature. Le quadrilatère avec ses extensions presque symétriques en forme de cerf-volant indique où se trouve cette faible « étoile double ». Au grossissement possible cette nuit, les deux composantes ne sont pas séparées, mais le tiret vu a bien l'orientation visible sur cette photo de Christian Dupriez (au dessus de NGC3079).
Comme le vent ne faiblit pas et limite les grossissements, nous obligeant à supprimer le baflage et faisant baisser le contraste, nous passons moins de temps sur les autres cibles qui méritaient pourtant autant d'attention de
M106 à
M51 en passant par l'
amas Coma et
M64, Fred a joué au « blindfold test » si l'on peut dire... J'ai raté
M109 que je ne connaissais pas mais me suis régalée de la vision de
NGC4565 impressionnante malgré la baisse du contraste sans baflage ou de
NGC4088 si caractéristique.
Je ne saurais recommander de s'inspirer de la lecture de nos talentueux dessinateurs pour profiter des observations au T1000. J'ai ainsi redécouvert des cibles pourtant maintes fois visées et je salive déjà à la perspective de revisiter tant d'objets connus d'un œil neuf.